Qu’est-ce qu’une transition en sciences sociales? Un simple sas entre deux périodes ou deux états bien identifiés et précisément décrits dans les discours scientifiques ? Ou un phénomène en soi, avec son identité particulière, qu’une connaissance plus affutée permettrait de définir et analyser en tant que telle ? Ces questions, amplement travaillées au sein de la MSH en histoire, archéologie, anthropologie, géographie, sociologie ou science politique, incitent à repenser le champ et l’utilité potentielle du concept de transition dans l’exploration des sociétés humaines.
Les travaux comparatifs ont permis de mieux cerner la tension qui peut exister entre le point de vue des contemporains de la transition et le point de vue du chercheur. Pour les premiers, la transition est ce présent qu’ils ne peuvent encore décrire, ou plus précisément qu’ils ne peuvent traduire dans un récit linéaire cohérent. Pour le scientifique, la volonté de mise en cohérence risque parfois d’effacer les subjectivités discordantes des contemporains, réduites au silence comme anecdotiques dans la marche perçue comme implacable de l’histoire - ou de l’avancée de la science. Mais, dès lors que le point de vue des contemporains et l'intérêt méthodologique des spécialistes en sciences sociales se rencontrent, le concept de transition devient utile pour le décryptage de la réalité sociale et environnementale. En incitant à la mise en parallèle des transformations provenant des sociétés, périodes, phénomènes distincts, il permet la saisie des éléments qui, loin de relever du détail, permettent l’explication des macro-phénomènes (par exemple les co-évolutions) autrement inexplicables.
Une période de transition est donc née d’un événement historique ou environnemental capable de produire une discontinuité politique, économique et sociale. La transition correspond alors à la période d’adaptation à la nouvelle structure imposée par cet événement, qu’il soit révolution, guerre ou l’avènement d’une invention de grande portée, que cette nouvelle structure soit connue mais pas encore atteinte ou inconnue. La transition déclenche une accélération du temps- en réalité, des changements opérés dans un laps de temps très inhabituellement court, qui rompt avec les cycles de changements usuels. Enfin, la transition clive les générations<, à la fois sur son vécu et sur son sens, les parcours individuels commencent à se ressembler plus horizontalement au sein de la même classe d’âge que verticalement au sein de la descendance. La transition fait naître des tensions entre les acteurs, qu’ils soient porteurs de mouvements bottom-up ou de politiques top-down en faveur, par exemple, de la transition écologique ou énergétique. La question de la prévision et de l’anticipation des phénomènes est soulevée en même temps que la question de l’inéluctabilité de la transformation. Des questions éthiques en résultent quant au choix du scientifique entre observation distante et accompagnement du phénomène.